La région de Tanger s’est imposée, au fil des années, comme un pôle industriel majeur à l’échelle continentale et internationale. Ses différentes zones franches, notamment Tanger Automotive City (TAC), la Zone Franche d’Exportation (ZF) et la Cité Mohammed VI Tanger Tech, sont devenues un véritable écosystème accueillant une multitude de multinationales. De ce dynamisme sans précédent est née une nouvelle réalité : une compétition acharnée pour attirer et retenir les talents, déclenchant une véritable « guerre » des salaires et des compétences.

Expansion et multiplication : Le moteur de la tension

Le paysage industriel tangérois est en constante mutation. Les géants déjà établis, tels que Lear, Aptiv, Yazaki,TE ou Sumitomo, ne cessent d’étendre leurs activités. Ils investissent dans de nouvelles usines, élargissent leurs lignes de production et modernisent leurs équipements. Cette expansion, loin d’être un phénomène isolé, s’accompagne de l’installation de nouvelles entités étrangères, attirées par les avantages logistiques, l’environnement des affaires favorable et la proximité de l’Europe.

Ces nouvelles arrivées, qu’elles soient des équipementiers automobiles de rang 1, des acteurs de l’aéronautique ou d’autres secteurs, ne font qu’intensifier la pression sur un marché de l’emploi déjà tendu. Chaque nouvelle entité a des besoins en personnel qualifié, allant de l’opérateur spécialisé à l’ingénieur, en passant par le technicien supérieur et le personnel d’encadrement.

La spirale des salaires et le « chasse à l’homme »

C’est dans ce contexte que la « guerre » des salaires prend tout son sens. Pour se positionner en tant qu’employeur de choix, les entreprises sont contraintes d’offrir des rémunérations de plus en plus compétitives. Ce qui était autrefois une grille salariale de référence est désormais un point de départ pour des enchères tacites.

Ce phénomène s’illustre par le « débauchage » ou la « chasse à l’homme », une pratique courante où une entreprise tente d’attirer un employé de sa concurrente en lui proposant un meilleur salaire, des primes plus élevées et de meilleures conditions de travail. Un ingénieur ou un technicien expérimenté chez Lear peut ainsi recevoir une offre de chez Aptiv, qui à son tour doit se prémunir du risque de voir ses propres talents convoités par un nouvel arrivant. Cette spirale ascendante des salaires, bien que bénéfique pour les employés qui voient leur pouvoir de négociation s’accroître, pose des défis de gestion pour les ressources humaines des entreprises.

La diversification des secteurs, un facteur aggravant

Si le secteur automobile demeure le pilier de l’économie des zones franches, la diversification des activités vient intensifier cette concurrence. Le développement de l’aéronautique, du textile de pointe, de l’électronique, ou encore des énergies renouvelables, crée de nouveaux besoins en compétences spécifiques. Un technicien en maintenance industrielle, par exemple, peut être convoité par une usine automobile, une entreprise aéronautique, ou un fabricant de matériel électrique. La compétition ne se limite donc plus aux concurrents directs, mais s’étend à l’ensemble de l’écosystème industriel.

Défis et perspectives

Face à cette effervescence, plusieurs défis se posent. Le premier est de garantir un approvisionnement constant en main-d’œuvre qualifiée pour répondre aux besoins grandissants de ces multinationales. Les établissements de formation locaux, publics et privés, jouent un rôle crucial en adaptant leurs programmes aux exigences technologiques des industries de pointe.

Le second défi est de parvenir à un équilibre entre la compétitivité salariale et la pérennité des entreprises. La fuite des cerveaux et des compétences d’une usine à l’autre peut perturber l’organisation et la productivité, nécessitant des investissements constants en recrutement et formation.

Questions de réflexion

  • À quelle échelle verrons-nous l’impact de ces changements ? Serons-nous confrontés aux mêmes problématiques que la République tchèque, où un marché du travail en plein emploi entrave la croissance et l’innovation ?
  • Assisterons-nous bientôt au retour de la diaspora pour occuper des postes clés, et quelles pourraient être les répercussions pour l’emploi local ?
  • L’immigration est-elle une solution viable et durable pour combler les pénuries de compétences, ou cela pose-t-il d’autres défis ?
  • La digitalisation et l’intelligence artificielle freineront-elles cette « bataille » pour les talents, ou au contraire, la rendront-elles plus intense ?
  • Dans quelle mesure le Maroc est-il réellement préparé à affronter ces défis et à tirer parti des opportunités qui en découlent?

En conclusion, les zones franches de Tanger sont le théâtre d’une dynamique industrielle exceptionnelle qui, tout en favorisant le développement de la région, met en lumière une compétition féroce pour les talents. C’est un marché où l’attractivité et la capacité à retenir ses employés sont devenues aussi cruciales que la production elle-même.